Le portrait de la semaine – Thierry Duvaldestin, la force tranquille
La saison 2021 restera à jamais gravée dans les annales pour toute l’équipe de Thierry Duvaldestin, auteur d’un nouveau record annuel de victoires pour un entraîneur.
par Emmanuel Rivron le 19 novembre 2021
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« Les records sont faits pour être battus » : comme tout amateur de sport, Thierry Duvaldestin connaît bien cet adage qu’il a transposé à son écurie en début d’année. Bien lui en a pris puisque ce normand pure souche est venu à bout de celui établi par le breton Yannick-Alain Briand, en dépassant la barre des 227 victoires en une année.
Vainqueur aux six coins de l’Hexagone, Thierry Duvaldestin a su tirer le meilleur de ses forces vives en donnant à ce nouveau record un caractère familial, confiant notamment les guides à ses deux enfants, Théo et Clément. Respectivement âgés de 21 et de 23 ans, ces grands garçons ont totalisé près de cent succès à eux deux contre une bonne quarantaine pour le chef de famille. Pour poursuivre ce casting, Sandrine, femme de Thierry, est à la tête de l’administratif et du service étalonnage, tandis qu’Angèle, la cadette de la fratrie a tenu le rôle de première supportrice de l’écurie entre deux cours au lycée.
Tout est familial dans ce record jusqu’aux pistes d’entraînement, puisque le grand-père du maître des lieux actuels y tenait une ferme laitière avant que Thierry Duvaldestin ne la transforme en centre d’entraînement de sportifs de haut niveau, bichonné chaque matin : « Nous attachons beaucoup d’importance au sol, ce qui est notre point fort, admet Thierry Duvaldestin. Il faut utiliser la meilleure piste possible selon la saison pour le bien du cheval mais aussi pour celui des pilotes. »
De la Normandie au Canada
Homme de la terre, ce fils d’agriculteurs n’est toutefois pas issu du sérail hippique. Il arpentait dans sa jeunesse les hippodromes d’Argentan, de Lisieux ou encore de Moulins-La-Marche, aux côtés de son père, driver amateur à quelques occasions. Suite à deux étés passés chez Jean-Pierre Dubois à Echauffour, non loin de chez lui, le jeune homme intègre l’Ecole de Chantilly après son Brevet des Collèges puis reste apprenti deux ans chez le « chef » et encore deux autres saisons en tant que salarié.
Après douze mois de service militaire, qu’il met à profit pour passer son permis poids lourd, Thierry Duvaldestin revient en Normandie pour travailler un an et demi chez Pierre Allaire : « A cette époque, mon objectif était d’être pilote. J’ai beaucoup observé et appris aux côtés de Jean-Pierre Dubois puis de Pierre Allaire. » Très fidèle à sa Normandie natale, Thierry Duvaldestin boucle toutefois ses valises pour les poser de l’autre côté de l’Atlantique où l’attend un oncle, Michel Bourgault, installé à Montreal. Et c’est au cœur de l’hiver glacial à moins 30°C que le jeune homme atterrit sur les bords du fleuve Saint-Laurent. De suite à l’aise en Amérique du Nord, le natif de l’Aigle brise la glace au sulky, sur le mythique hippodrome de Blue Bonnets, rayé de la carte de nos jours : « Montreal n’avait pas connu un hiver aussi froid depuis de longues années, se souvient-il. Avec le vent et la tempête, la température ressentie était de -40°. Nous sortions alors du barn chauffé une dizaine de minutes pour trotter et préparer les chevaux. Ce n’était pas l’idéal mais c’était vraiment une super expérience. J’avais des poulains de deux et trois ans à dresser. Je passais beaucoup de temps à les entraîner et j’ai de suite eu de bons résultats, avec des trotteurs et des ambleurs. Il y avait de sacrés pilotes tels que Fillion, Zeron ou Lachance. »
Du débourrage à l’entraînement
Après quelques mois passés dans le blanc manteau québecois, Thierry Duvaldestin retrouve sa verte Normandie en tant qu’entraîneur particulier pour Madame Forray, les Danyk : « J’y travaillais les chevaux le matin et, quand je ne drivais pas l’après-midi, je faisais des travaux dans la ferme de mon grand-père pour préparer mon installation. Je partais quand même un peu dans l’inconnu. » Dans l’inconnu certes, mais épaulé à 100% par Sandrine, son épouse, pas du tout du microcosme hippique et qui nous confie : « Quand on épouse un entraîneur de chevaux, il faut prendre tout ce qui va avec, les avantages et les inconvénients. Je savais que la vie serait bousculée, qu’elle serait différente mais c’est un choix. Quand nous avons commencé tous les deux, nous n’avions pas grand-chose. Le travail de chacun nous a permis de passer les étapes. »
Ganador, Guénoso et Gaïa du Goutier comme catalyseurs
Le couple commence son aventure dans les années 90 avec un barn de seize boxes qui accueille rapidement des poulains à débourrer pour d’autres entraîneurs, la première année tout du moins. Dès le deuxième exercice, le jeune professionnel, installé à 24 ans seulement, dresse des poulains destinés à son entraînement, la génération des G dont Ganador, deuxième du nom. Son éleveuse, Marie-Dominique Fairand, propriétaire de Don Paulo quelques années plus tôt, n’a pas hésité à confier son poulain à ce nouveau venu : « Je voulais faire confiance à un jeune professionnel, nous confie-t-elle. Comme il avait été formé chez Jean-Pierre Dubois, je savais qu’il connaissait le métier et ses difficultés. Je ne lui ai jamais imposé quoique ce soit et je n’ai pas été déçue, loin de là, tant au niveau du travail qu’au plan personnel. Il a rapidement eu de la réussite et a su exploiter les chevaux au mieux de suite. Il a su deviner ce qu’il avait entre les mains. Il est toujours resté réservé, humble et est récompensé de tout son travail maintenant. Il est également fidèle aux propriétaires présents au départ, puisque, ces dernières années, il a accepté d’entraîner ma dernière jument Galette Bretonne, qui n’était pas très bonne. »
Nés en 1994 à l’instar de Ganador, Guénoso et la semi-classique Gaïa du Goutier constituent également une excellente rampe de lancement avant que n’arrive quelques années plus tard la reine Pearl Queen, sextuple lauréate de Groupes 1 : « C’était une super jument, facile au quotidien, se rappelle-t-il. On progresse indéniablement avec ces chevaux-là. » Si la petite championne de Thierry Duvaldestin quitte la compétition en 2008, cela n’empêche pas l’entraîneur de battre déjà le record annuel de victoires pour un entraîneur en 2009, avec 210 succès au compteur : « Mon nombre de chevaux n’était alors pas très élevé puisque 88 avaient couru, avec quelques-uns d’entre eux qui n’avaient pas remporté la moindre course. Je ne sais toujours pas comment on a fait cette année-là ! »
Ready Cash en guest-star américaine
L’écurie prend encore une autre dimension l’année suivante lorsqu’elle accueille Ready Cash. Le crack des cracks avait déjà remporté seize groupes, dont le Critérium des Jeunes et celui des 3 ans, débarque à la Haye-Fresnel. Et c’est quelques semaines après sa faute dans le Critérium des 5 Ans qu’il intègre son effectif : « C’était énorme pour moi de l’entraîner. Il y avait quand même une certaine pression. Ready Cash avait quelques courses pour faire ses preuves à la maison. Sinon, il rentrait définitivement au haras. Philippe Allaire m’a toujours donné carte blanche. Comme j’avais peur de ne pas avoir assez de personnel, j’avais demandé sa lad. Mais Philippe avait refusé : il voulait couper le cordon et que je reparte de zéro. Il n’avait pas de base à la campagne à l’époque et aurait réussi tout comme moi si cela avait été le cas. Ready Cash s’est effectivement considérablement calmé en dormant dehors. Il a gagné deux Prix d’Amérique en y affrontant notamment l’épouvantail Maharajah, à l’issue de vrais combats. Il y avait vraiment de l’engouement quand ces deux chevaux s’affrontaient. » Du Prix d’Amérique 2011, Clément Duvaldestin en a un souvenir impérissable : « Mon père avait préféré rester dans les écuries pour être dans sa bulle et s’isoler. Il voulait vivre le moment d’une manière plus calme, pour bien analyser. Je regardais la télé avec lui et, dès que le cheval a passé le poteau en tête, je me suis soudainement senti élevé dans les airs, mon père me soulevant très haut dans ses bras. Nous étions aux anges ! »
Comme souvent après les exploits d’un tel crack, les lendemains sont souvent plus difficiles, et l’écurie n’y a pas échappé : « Il y a plusieurs raisons à cela, analyse Thierry Duvaldestin. Déjà, j’avais peut-être pris un peu la grosse tête. De plus, certains propriétaires n’osaient probablement pas me confier leurs chevaux, de crainte que je leur refuse. Il faut aussi reconnaître que je m’occupais beaucoup de Ready Cash et que je n’avais pas préparé la relève. C’est normal et je referai la même chose aujourd’hui. Et, comme pour une équipe de foot, il faut renouveler l’effectif. »
Un record familial
Si Thierry Duvaldestin n’avait pas préparé la relève du côté des chevaux, la nouvelle génération de pilotes de l’écurie, constituée notamment de ses deux enfants s’entraînait par contre d’arrache-pied tous les week-ends dans des courses de poneys au trot et au galop : « L’arrivée de Clément et de Théo m’a bien boosté, il faut le reconnaître. Le métier est tellement dur qu’il faut des forces vives, des mains pour dresser les chevaux. Je suis d’ailleurs très fier du travail quotidien fourni par toute mon équipe.»
Habitant longtemps au-dessus des écuries, Clément et Théo ont rapidement été attirés par l’étage du dessous, comme se rappelle Sandrine, femme de Thierry : « Les garçons n’avaient qu’à descendre l’escalier pour y trouver leur père dans le bâtiment. Ils ont naturellement commencé à rouler les bandages, passé un coup de balai. Thierry, Théo et Clément sont complémentaires. Chacun met sa pierre à l’édifice. Je n’ai pas du tout été embêtée par le fait que les deux garçons fassent ce métier. C’est une fierté de travailler avec ses enfants et encore plus d’avoir établi ce record en famille. Quand nous investissons, nous savons que c’est à long terme avec Clément et Théo qui suivent. Nous avons la chance que Thierry ne soit pas maladroit et travailleur. Il sait ressentir les chevaux. Il est très bosseur et ne s’arrête jamais. A la maison, il regarde constamment les engagements, les partants, les courses. Il ne décroche pas, sauf pour une semaine de vacances d’hiver, avec des amis hors du monde des courses. »
Aîné des trois enfants, Clément ne dira pas le contraire sur l’investissement familial dans l’écurie : « Les courses font partie de la famille au sein de laquelle chacun apporte ses compétences dans son domaine de prédilection. Mon père est méticuleux et travailleur, tout ce qu’il faut pour être un bon entraîneur. Il est aussi très fort pour repérer les yearlings et pour régler les chevaux. » De deux ans son cadet, Théo, 21 ans ajoute : « Il est calme et réfléchit toujours avant d’agir. Il est très raisonné et à fond dans le travail. Il ne lâche rien et nous a transmis cet état d’esprit. C’est le moteur de l’équipe. L’année écoulée a sûrement été plus éprouvante pour lui que pour nous qui sommes restés dans notre zone de confort, malgré les kilomètres. »
Aux côtés de Zlatan et de Pastore
Focalisé sur le travail et ses chevaux, ce fan de de foot et de rugby trouve quand même du temps pour aller voir quelques matchs du XV tricolore. Il a même fait une infidélité à la cendrée du plateau de Gravelle pour le billard du Parc des Princes un soir de mars 2013 et y donner le coup d’envoi d’un match du PSG. Pas anodin de se retrouver au beau milieu de Zlatan et de Pastore pour un fan du PSG !
Entre les études, des engagements, les préparations des chevaux, la logistique de l’écurie, le management d’un personnel totalement investi dans l’écurie, Thierry Duvaldestin n’oublie pas la cadette de ses enfants, Angèle : « Je suis allée sur les hippodromes dès petite mais je ne suis pas très intéressée par le milieu équin, admet-elle. Je trouve quand même ma place. Nous savons faire la part des choses entre la famille et le travail mais ce n’est pas toujours facile dans ce métier très prenant. Je suis vraiment fière qu’ils aient réussi à établir ce record tous ensembles. Professionnellement, il faut avoir beaucoup de motivation et être super investi pour y parvenir. Affectivement parlant, mon papa est un papa aimant qui veille sur chacun de ses enfants et qui veut leur bonheur. »
Malgré un rythme effréné au cours de ces derniers mois, la famille normande n’a pas perdu son équilibre. Véritable chef d’orchestre, Thierry Duvaldestin a mis au diapason son équipe tout au long de la saison écoulée et entend bien mettre tout en oeuvre pour garder le bon tempo.